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Château Malbec : sur les pistes de l'histoire

Publié le 12.10.2021
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Pour Castel Châteaux & Grands Crus, une propriété, une vigne, un Grand Cru, ne se possèdent pas, mais se cultivent pour mieux se partager et se transmettre.


Être dépositaire d’un patrimoine viticole, architectural et historique extraordinaires nécessite un travail important de recherche et de conservation. Le Château Malbec, acquis par la famille Castel en 1991, est un exemple parfait de cette quête.


Ce domaine de Saint-Eulalie, aux portes de Bordeaux, a eu différents propriétaires, dont au XVIIIe siècle, la famille Malbec. Longtemps, ce vignoble a été réputé tenir son nom de ses propriétaires d'alors, sans tisser un lien particulier avec le cépage éponyme. Des recherches récentes de l'historien Léonard Laborie, spécialiste du Malbec, ont amené un nouvel éclairage. Le point sur ses découvertes.


Chercheur au CNRS (laboratoire SIRICE, Paris), Léonard Laborie travaille sur l'histoire de l’Europe contemporaine sous l’angle des technologies, mais aussi de la vigne et du vin. À la demande de L'Union Interprofessionnelle du vin de Cahors, vignoble du Sud-Ouest qui a fait du cépage Malbec son emblème, il a entamé des recherches sur l'origine de ce cépage issu du croisement entre le Prunelard et la Magdeleine noire des Charentes.




Aux racines géographiques du cépage Malbec

Fiers de leur patrimoine, nombre de vignerons cadurciens « sont persuadés que le Malbec est originaire de Cahors, mais rien ne permet encore d'en être certain », tempère Léonard Laborie. Une certitude en revanche : ce cépage est présent localement depuis au moins le XVIe siècle, sous le nom d'Auxerrois. Jamais seul présent dans les vignes de Cahors, il en a néanmoins toujours été depuis le principal cépage. Il a été rebaptisé « Malbec » à Cahors depuis 2007, nom plus porteur sur le marché international, dans la dynamique lancée par l’industrie viticole argentine pour sortir de la crise à la fin du XXe siècle.


Probablement originaire du Quercy, le Malbec s'est ensuite répandu dans d'autres vignobles hexagonaux. A la fin du XIXe siècle, juste avant la crise du phylloxéra, il est d'ailleurs celui qui connaît la plus forte dispersion dans le vignoble français, du Sud au Nord et d’Ouest en Est. C'est autour de Fontainebleau que son expansion géographique a débuté, sous le nom de Samoireau. Un vigneron de Cahors avait en effet été mandaté pour amener des plans dans un vignoble que François Ier voulait développer autour du château royal, afin de représenter tous les grands vignobles de France.


C'est ensuite au XVIIIe siècle que ce cépage apparaît à Bordeaux, où il est rapidement cultivé de façon importante au XIXe siècle. Cet engouement s'explique par deux raisons. D'abord, « le léger mieux climatique de cette époque, avec des températures un peu moins froides que dans les siècles précédents, a rendu possible sa culture sous un climat atlantique. » Ensuite, « ce cépage tannique, assemblé avec les cépages locaux, a permis de proposer des vins plus colorés et charpentés, capables de mieux vieillir. » Depuis le Bordelais, le cépage s’exporte, sous ce nom, dans le monde entier. Des plans de Malbec sont vendus en Australie aussi bien qu’au Chili dans les années 1840.


Aux origines du nom du cépage Malbec

Les premières traces écrites du nom « Malbec » pour désigner le cépage apparaissent en 1784, dans le cadre de l’enquête de l’intendant de Guyenne Nicolas Dupré de Saint-Maur. Les correspondants de l’intendant établis à Bazas et à Pauillac, rive gauche de la Garonne, lui disent que le « Malbec ou Cahors » y est fort planté. Un an plus tard, Secondat, fils de l'écrivain Montesquieu, suppose ce nom hérité d'un propriétaire appelé Malbeck, qui l'aurait largement planté dans la région médocaine. Une deuxième hypothèse touche de plus près le château Malbec de la famille Castel, situé rive droite de la Garonne. D'après Auguste Petit-Lafitte, professeur d'agriculture du département de la Gironde qui écrit dans les années 1860, ce cépage aurait hérité son nom d’une famille Malbec propriétaire à Sainte-Eulalie, qui l’aurait propagé autour de son domaine et dans les communes environnantes. Des informations qu'il tiendrait du propriétaire du Château Malbec lui-même. « Cette hypothèse est partiellement vérifiable, expose Léonard Laborie. Au XVIIIe siècle, une famille Malbec, des juristes travaillant au Parlement de Bordeaux, est en effet installée à Sainte-Eulalie. Ils y possèdent un domaine viticole, déjà bien établi à cette époque, producteur de vins rouge et blanc. Malheureusement, rien ne permet de dire que le Malbec faisait partie de l’encépagement du domaine, dont on ne sait rien », précise l'historien. Cette famille n’a par ailleurs aucune possession en Médoc.



D'autres pistes

Face à ces deux hypothèses quelque peu contradictoires, Léonard Laborie a échafaudé ses propres conjectures. « Secondat indique que le Malbec est assez présent dans l'Entre-deux-mers à la fin du XVIIIe, quoique sous d’autres noms (Pied rouge, Cote rouge, Étranger…), rapporte le chercheur. D'après moi, le Malbec pourrait être un type spécifique de la grande famille du Côt rouge, une intra-variété, résultant d'une sélection particulière faite par la famille Malbec de Sainte-Eulalie. Des propriétaires médocains auraient très bien pu venir se fournir chez elle à Sainte-Eulalie, pour planter leur vignoble. Ils auraient gardé le nom de la famille où ils s’étaient approvisionnés pour désigner ce cépage. Ce n'était pas rare, à cette époque où il n'y avait pas de pépiniéristes, que les cépages prennent le nom de celui qui les avait fournis. »


Une seconde hypothèse, plus acrobatique encore, serait que la famille Malbec de Sainte-Eulalie - dont l'existence est avérée jusqu'à sa dernière héritière Jeanne, décédée au tout début du XIXe siècle -, fût apparentée à une autre famille Malbec en Médoc. Les deux branches se seraient échangées des plans dans un sens ou l'autre. « Mais cette hypothèse est fragile, prévient l'historien. J'ai repéré une famille Malbec à Margaux, également des juristes, propriétaires à Langoiran et Margaux. » Ces deux familles sont-elles toutefois apparentées ? Rien ne permet de l'affirmer. Le seul indice dont dispose l'historien est une anecdote sur le domaine de Sainte-Eulalie. A son décès sans enfant en 1807, Jeanne Malbec lègue sa propriété, composée de 18 hectares de vignes, une métairie, une maison et un cuvier, à l'un de ses cousins, prénommé Jean-Baptiste Lacroix. Apprenant le décès et l'héritage, un homme nommé Pierre Malbec revendique l'héritage, se prétendant le plus proche parent de Jeanne, et s'affirmant son créancier pour 1200 Francs. Des scellés sont posés sur la propriété et un contentieux juridique est enclenché, engendrant un descriptif détaillé du domaine. L'affaire est simplement soldée par le paiement par Jean-Baptiste Lacroix de la dette de sa tante, avant de revendre rapidement la propriété. Les liens de parenté entre Jeanne et Pierre Malbec ne sont à aucun moment précisés. Ce Pierre Malbec était-il membre de la branche médocaine ? Enquête à suivre...


À lire : Patrice Foissac, Pascal Griset et Léonard Laborie (dir.), Vins de Cahors et du Quercy. Un recueil sur l’histoire des hommes, des lieux et des produits, Pessac, MSHA, 2020, 405 p.

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