Portrait : Philippe Blanc, Directeur du Château Beychevelle.
Il est des visages emblématiques d'une propriété. Philippe Blanc fait partie de ceux-ci. Voilà 25 ans que le directeur a posé ses valises dans l'un des joyaux du Médoc, le 4e cru classé Château Beychevelle, propriété de 250 hectares à Saint-Julien.
Originaire du sud-est, cet ingénieur agronome et œnologue, formé à l'Ecole Supérieure Nationale d'Agronomie de Paris et Montpellier, a fait ses armes dans le vin en Champagne, Alsace, Australie, puis s'est essayé à la création de liqueurs. Jusqu'à cette année 1995, décisive, date de son arrivée dans le vignoble bordelais. « J'ai choisi Bordeaux car c'est une terre d'opportunités pour briguer des postes à responsabilités, explique-t-il. Ici, il y a des propriétés avec de l'aura et du prestige, comme Beychevelle, de véritables Formule 1, c'est la Ligue des Champions. Pour les diriger, il faut des gens qualifiés, dont j'espère faire partie. C'est une immense chance d'officier ici. »
D'un poste de direction à forte coloration technique à son arrivée, Philippe Blanc a peu à peu endossé, les années passant et les équipes s'étoffant sous sa houlette, la direction générale du prestigieux vignoble. « Aujourd'hui, je m'assure du fonctionnement harmonieux de cette entreprise d'une cinquantaine de personnes, en phase avec les attentes des propriétaires. Je suis un peu touche-à-tout, dans une mission managériale de supervision, entre gestion, commercial, représentation, sans oublier la composante technique de production, mon éternelle raison d'être. »
Après 25 ans aux commandes de ce vaisseau amiral, dont il a immédiatement perçu l'extraordinaire potentiel, pas une once de lassitude ne peut être décelée chez le directeur, toujours aussi captivé par son métier. « Je ne me suis jamais ennuyé, je n'ai jamais été blasé, je ne le suis toujours pas, et j'espère ne jamais l'être ! Beychevelle c'est un lieu merveilleux, de très beaux vins, une marque extrêmement forte. C'est un privilège, un honneur, un bonheur de s'occuper d'une telle propriété. Quand je suis ici, ailleurs en France ou à l'étranger, et que les gens connaissent le domaine, ont vos vins en cave, écrivent sur vos vins, c'est un signe de reconnaissance extraordinaire » se réjouit-il.
Château Beychevelle d'hier à aujourd'hui
Outre ses équipes compétentes et pleinement impliquées, l'une des autres chances de Beychevelle, c'est sans nul doute le fort pouvoir d'investissement de ses co-propriétaires. Depuis plus de trente ans, le cru classé est dirigé par Suntory (l'une des plus importantes sociétés japonaises dans les vins et spiritueux), « une famille très respectueuse et focalisée sur la qualité et la réputation », avec qui le directeur confesse s'être « toujours senti très en confiance. » En 2011, ils ont été rejoints par la famille Castel. « L'osmose s'est très bien faite. Cette association nous a permis des projets d'envergure, raconte Philippe Blanc. J'ai toujours eu la chance d'avoir les moyens pour bien travailler et de faire de beaux vins, en cohérence avec les objectifs qui nous étaient fixés. On a déjà rendu de belles copies et on continue à en rendre. »
Dans cette dynamique, le Château Beychevelle a fait le pari il y a quatre ans de la construction d'un nouvel outil technique, cuvier et chai, imaginé par l'architecte Arnaud Boulain. « C'est un très gros investissement, emblématique, pour les 30-40 ans courants et à venir, dans une perspective de travail favorable au produit. Nous avons désormais plus de choix et d'options techniques, nous agissons de façon plus maîtrisée et précise », commente le directeur. Après trois ans de gestation et réflexion, puis un an et demi de travaux, le bâtiment est entré en action pour les vendanges 2016. Doté de 59 cuves en inox, dont une grande partie tronconiques, de quatre volumes différents, le cuvier a été pensé dans une approche parcellaire. Pour respecter la matière première, ramassée à la main, condition sine qua non de la confection de grands vins, le remplissage est désormais opéré de façon gravitaire (et non, comme auparavant par pompage), par le biais de cuvons déversés manuellement. Pour un meilleur respect du fruit, les possibilités de méthodes d'extraction ont été multipliées (remontage ou délestage comme antérieurement, mais aussi pigeage), les températures sont mieux maîtrisées. Autant d'avancées propices à obtenir « de grands et beaux tanins, très fins, la marque de grands vins rouges. »
Ce cuvier est complété d'un nouveau chai, plus spacieux, avec des conditions thermiques et d'hygrométrie améliorées et mieux maîtrisées, pour des élevages sereins de 12 à 18 mois. Après quatre millésimes vinifiés dans ce lieu, le directeur ne cache pas sa satisfaction. « Cet outil est à la hauteur de ce que l'on veut faire, tant sur le grand vin Château Beychevelle, que sur notre second vin Amiral de Beychevelle. On fait les meilleurs vins qu'on a jamais faits. Ces progrès sont unanimement constatés » se satisfait-il.
L'enjeu environnemental, mais pas que...
Sur ces très belles bases, le directeur regarde sereinement vers demain, prêt à affronter les défis, car « il n'y a pas beaucoup d'enjeux restrictifs à Beychevelle. » Parmi eux, « l'enjeu qualitatif est vital. Nous devons continuer à faire les plus beaux vins possibles, pour être encore toujours reconnus parmi les beaux produits » affirme-t-il. Cette quête est doublée d'une préoccupation environnementale, omniprésente de longue date, et encore accentuée ces dernières années par de fortes attentes sociétales. « Nous officions dans des lieux magiques, entourés de bois, parcs, prairies, nous devons préserver cet environnement. » De façon pionnière, « nous avons toujours fait des efforts pour réduire tous les caractères néfastes qui peuvent être reprochés à la viticulture, assure Philippe Blanc. Nous n'utilisons plus d'herbicides et d'insecticides de longue date, les pesticides sont les plus limités possibles, nous sommes adhérents et partie prenante du Système de Management Environnemental (SME) des vins de Bordeaux et de l'ISO 14001, et avons été également certifiés Terra Vitis », décrit le directeur. Loin de se reposer sur leurs acquis, les propriétaires et les équipes de Beychevelle continuent sans relâche leur chemin vers une viticulture plus propre. « Depuis longtemps, on a procédé à des essais plus que significatifs en viticulture biologique, nous sommes allés jusqu'à 30 hectares, et elle est pratiquée actuellement sur plus de 10 hectares. Nous sommes de bons élèves, mais on peut sûrement faire encore mieux et différemment. On n'est pas au bout, je suis convaincu que ce sont des sujets majeurs sur lesquels il faudra évoluer dans les années à venir, et on évoluera encore. » A cette fin, le cru classé ne néglige aucune piste, demeurant en veille perpétuelle sur les possibles solutions innovantes. « S'il faut investir dans des matériels électriques, ou de la robotisation, on y pensera, affirme Philippe Blanc. On doit améliorer cet aspect autant qu'on le peut. »
Si l'enjeu environnemental est essentiel, il est loin d'être le seul. Au plan commercial aussi, le cru classé affiche une vigilance et un esprit conquérant incessants. Château Beychevelle écoule l'intégralité de sa production (240 000 bouteilles de son grand vin, 180 000 du second en moyenne sur chaque millésime) par le négoce bordelais. « Il en manque peu de ceux qui comptent à Bordeaux, commente Philippe Blanc. On ne nous fait qu'un seul reproche : de ne pas avoir assez de vin, sourit-il. C'est tout simplement un immense bonheur d'entendre ça ! » Les vins sont exportés à 90 %, dont une grande partie en Asie, seuls 10 % demeurant sur le marché français. Le cru classé déploie ses efforts pour ventiler de façon la plus diversifiée possible sa distribution, afin de sécuriser ses débouchés dans un contexte économique et géopolitique mondialement instable. « Il faut être le plus dispersé possible, être à Copenhague, Londres, New-York, Mexico, Moscou, Paris, Bordeaux, dans les caves, en restauration... On fait notamment beaucoup d'efforts pour soutenir nos clients négociants quand ils organisent des manifestations, et être présents quand ils convient des toques blanches. » Pour répondre à cet enjeu en restauration, Château Beychevelle, en partenariat avec Castel Châteaux & Grands Crus, a développé la cuvée Aspirant de Beychevelle. Produit en quantités très limitées à partir du millésime 2016, Aspirant de Beychevelle est exclusivement dédié à la restauration premium et au service « au verre ».
En s'appuyant sur la qualité des vins, réputés mondialement, le secret du succès qui dure pour Beychevelle réside aussi dans la stratégie commerciale gagnant-gagnant pratiquée par Philippe Blanc et ses équipes. « Nous mettons un point d'honneur à donner du sens tout au long de la chaîne, du négoce, au distributeur, caviste, sommeliers, consommateurs... Il faut que tout le monde ait le sourire pour ne pas que la machine se grippe. C'est à nous de se demander ce que l'on peut faire pour donner du sens à l'activité des prescripteurs », expose le directeur. Qui ajoute immédiatement : « et surtout, à la fin, le but est de faire plaisir au consommateur pour qu'il soit content et ait envie de redéguster Beychevelle, d'en acheter, d'en redemander à son caviste ou d'en commander au restaurant. » Beychevelle s’attelle notamment à « faire apprécier ses vins à des jeunes, une cible de choix pour les 10-20-30 ans à venir. »
La carte de l'œnotourisme
Pour porter la notoriété de ses vins et l'aura de sa marque directement auprès des consommateurs, le cru classé a, dès les années 1980, employé le levier de l'œnotourisme, à l'heure où peu de châteaux bordelais ouvraient alors leurs portes. Depuis les années 1990, une équipe dédiée à l'accueil des visiteurs a été instituée, et aujourd'hui, 10 000 personnes découvrent le domaine chaque année. « On leur montre comment on travaille, on leur présente nos équipements, nos méthodes, notre environnement, nos vins... détaille Philippe Blanc. Il y a une vraie demande. De France comme de l'étranger, les gens viennent et reviennent. C'est une immense source de satisfaction et d'espoir. Ça montre que nous ne sommes pas des produits ''has been'', que les gens sont curieux et intéressés, et qu'on peut les captiver. » Autour de ces prémices, l'accueil s'est structuré, avec aujourd'hui une offre complète, de la visite classique à la visite commentée enrichie d'une master class en présence de Philippe Blanc ou du Directeur Technique, Romain Ducolomb. Pour prolonger l'expérience, certains se laissent volontiers tenter par un moment gastronomique à la Table de Beychevelle, privatisable pour des événements sur-mesure avec un chef réputé aux fourneaux, et/ou par un séjour dans l'une des treize chambres aménagées dans le château historique, rénové en véritable maison de famille. « Le but premier n'est pas l'hébergement pour l'hébergement, mais bel et bien de faire découvrir tout un art de vivre à travers une immersion dans l'univers Beychevelle » rappelle le directeur. Avec toujours en toile de fond l'envie de « faire passer un beau moment aux gens. Je veux faire des centaines d'heureux, qui repartent avec le sourire, contents, reviennent, et font découvrir Beychevelle à d'autres. S'ils nous choisissent, alors qu'il n'y a jamais eu autant d'offre œnotouristique à Bordeaux, ce sera une immense fierté et satisfaction pour les équipes, les propriétaires et moi ! »